
Lettre à mes ados de coeur
Illustrations par Suby



Bonjour chers et chères tou.t.e.s,
Je tiens à vous écrire quelque chose qui est important pour moi et je pense pour vous aussi.
Je remarque qu’à part la gratitude, l’amour et la joie que je ressens de vous avoir rencontré, de vous avoir accueilli chez moi et d’ avoir appris à vous connaître, il y a encore beaucoup de tristesse et colère en moi en ce qui vous concerne.
Dans cette lettre, je vous fais part des conscientisations et leçons de vie que les 9 mois qu’on a vécu ensemble m’ont offert. Je vous invite à les lire, à y réfléchir et surtout à agir comme vous voulez, pour vous (re)construire individuellement.

Je témoigne
Je vous ai accueilli dans ma maison car c’est ma façon de répondre aux besoins du vivre-ensemble de mes propres ados et de contribuer à un monde meilleur pour d’autres ados et familles. C’est un de mes actes pour faire en sorte que chaque enfant et jeune puisse se sentir entouré … avoir un endroit où dormir … sortir de l’impuissance que le monde lui impose … s’épanouir, chacun.e à sa façon … et se sentir le plus en sécurité possible.
Le “sentiment de sécurité” dont je vous parle ici est différente de “la sécurité” dont vous -et beaucoup d’autres- parlez souvent. J’entend dire régulièrement: “L’amitié et le vivre ensemble, c’est pouvoir se faire confiance et interagir avec respect“. Mais je crois que c’est faux, c’est même une illusion. Car le respect et la confiance ne sont ni un droit qu’on peut réclamer des autres, ni une condition qu’on devrait attendre pour pouvoir avancer ensemble. Ils sont les résultats d’un grand travail de soi-même et de ses relations. Le respect et la confiance apparaissent d’eux-mêmes quand le sentiment de sécurité (comme décrit ci-dessus) est suffisamment présente. Et le respect et la confiance disparaissent malheureusement quand nos corps se sentent en insécurité.
Je suis en colère, car je n’ai pas pu pas faire confiance à vos mots et vos actes. Tant de petites promesses quotidiennes que vous n’avez pas su tenir: “je sortirai les poubelles”, “je ferai la lessive”, “je ferai ma vaisselle”, “je rangerai la chambre demain”. Je sais que les luttes quotidiennes que vous devez mener en tant que jeune, vos nombreux moyens de distraction et l’accès facile aux stupéfiants, ne permettent pas que vous soyez déjà des personnes fiables, ni pour vous-mêmes ni pour moi. La seule confiance que j’ai, c’est en votre énorme potentiel de prendre vos vies en main.
Je suis triste que le respect dont vous parlez si souvent, est seulement présent dans vos intentions, et absent dans la plupart de vos actes au quotidien. Je parle du nombre d’objets importants qui ont disparus, perdus ou se sont cassés, l’absence d’hygiène dans les espaces de vie communs, et de toutes les fois que j’ai du me lever la nuit pour vous ouvrir la porte par votre manque d’organisation entre vous. Savez-vous que votre dispersion, la vitesse à laquelle vous bougez et vos pensées automatiques – « je ne sais pas, je n’ai pas vu, c’est comme ça, je suis comme ça, ce n’est pas très grave, ce n’était pas moi, c’était sûrement quelqu’un d’autre » – maintiennent l’ignorance et le non-respect?
Il est vrai qu’il est difficile de supporter la méfiance et le non-respect de soi-même et des autres. Je l’ai vécu de nombreuses fois dans ma vie, et j’en témoigne dans cette lettre. Et non, on n’est pas obligé d’accepter le manque de respect sans discussion, et oui on doit s’en protéger pour pouvoir se détendre, se sentir à l’aise. En même temps, il est trop facile d’en accuser l’autre et de ne pas se regarder en face avec une sincérité radicale. Ma définition de l’amitié et du vivre ensemble est donc plutôt: “C’est pouvoir choisir avec qui on s’engage à traverser les troubles liés au non-respect et à la méfiance. C’est choisir avec qui on s’exerce à être curieu.xs.e et bienveillant.e, pour mieux se comprendre et nourrir la relation, et ainsi, remarquer comment le respect et la confiance peuvent augmenter“.
Mais si le respect et la confiance ne sont pas des conditions ni des droits, quelles sont alors les conditions et les droits qu’on peut exiger des autres pour se sentir plus en sécurité? J’en mets trois en avant ici:
- La conscience : que chacun.e puisse découvrir et connaître ses besoins personnels, et remarquer qu’il.i.elle n’est pas seul face aux défis de la vie
- La connexion : que chacun.e se sente soutenu pour pouvoir créer des meilleurs conditions pour remplir ses besoins physiques (manger, boire, dormir, ..,), mentaux (gestion émotionnelle, amour de soi, introspection bienveillante, …) sociaux (interactions non-oppressives, relations soutenantes et constructives), et spirituels (croyances saines, appartenance à un groupe, une famille, …)
- L’ authenticité: que chacun.e puisse exprimer ses émotions et apprendre à les gérer sans être jugé ou rejeté par rapport aux sentiments et besoins présents.
Ma tristesse et ma colère se dirigent à la fois à vous, à moi-même, à vos parents, à vos écoles, et à toute la société. Car aucun.e de nous a été en mesure de remplir les conditions et de créer les circonstances nécessaires pour que chacun.e de vous puisse s’épanouir à tel point que le respect et la confiance soient présents. Mais peut-être ensemble on y arrivera… Nous pouvons continuer à nous soutenir mutuellement. Nous continuons à nous épanouir, ensemble et chacun.e de son côté.

Comment?
Je vous partage ici mon propre travail d’introspection pour donner un exemple concrète des chemins possibles qui mènent vers le changement.
Pour connaître mes besoins et pour savoir ce qui est nécessaire pour moi, j’ai pris le temps de sentir les tensions dans mon corps, de méditer, d’écouter et comprendre les messages cachés derrière ma colère, ma tristesse et mes tensions. Ils me disent : « Tu es fatigué. Tu as souvent mis tes propres besoins de coté. Tu as accueilli et vécu une expérience très envahissante et intense. Prends soin de toi et reviens à tes besoins d’abord pour rétablir tes forces. Tu as fait ce que tu pouvais et tu es resté fidèle à tes valeurs de justice et de bienveillance, ça suffit maintenant. »
Pour répondre à ce message émotionnel et corporel, j’ai défini des actions dans les jours et semaines passée et à venir:
- pour que ma colère et tristesse soient entendu, et que je ne reste pas seule avec cette multitude d’impressions qu’a laissé notre aventure commune, je vous écris cette lettre.
- pour mieux prendre soin de mes tristesses et des colères envers moi-même, je pratique la bienveillance et la pleine conscience à travers des méditations, l’écriture et d’autres exercices d’ introspection, seule et avec mes proches.
- pour mieux prendre soin de mon espace de vie, je m’occupe de plus en plus de ma maison, et je me mets aux tâches ménagères qui se sont accumulées dans les mois passés.
- pour pouvoir me ressourcer, récupérer mon sentiment de sécurité, reconstruire la confiance et le respect envers moi-même, j’ai fermé la porte de ma “maison d’accueil”. Ma porte se réouvrira surement un jour, reste encore à découvrir quand, comment et pour qui.

Au revoir ❤
S’il vous plaît, accueillez ceci comme un témoignage de ma part, avec des apprentissages, des conseils et des invitations, sans aucune reproche ou accusation. Je n’ai aucun regret de vous avoir accueilli chez moi. Je n’ai pas besoin de vos réponses ou excuses. La meilleure réponse serait d’agir pour vous-mêmes, par exemple en définissant des petites actions (par jour, par semaine, par mois, …) qui vous aideront à avancer vraiment.
Et peut-être vous n’aviez pas besoin de cette lettre pour agir. Cette lettre répond tout d’abord à mon propre besoin de partage. Je sais que chacun.e de vous est déjà sur ce chemin de changement vers plus de lumière dans vos vies.
Avec beaucoup d’amour et tendresse je vous souhaite le courage d’écouter les messages profondes de vos émotions et de vos sensations corporelles, pour avancer avec toute l’attention, la patience et la sagesse qui est déjà en vous. Sachez que vous n’êtes pas seul.e.s, et que chaque jour peut être un nouveau début de changement et de croissance, si vous le voulez.
Ylva
Liens utiles
- https://www.petitbambou.com/fr (appli de détente et méditations)
- https://thewisdomoftrauma.com/fr/ (le docu dont on a regardé une partie ensemble)
- https://resiliencemovement.eu/2024/01/16/sejours-jeunes-transformation-des-tensions/ (extrait de l’article du journaliste qui est venu à notre journée de formation)
- https://resiliencemovement.eu/la-lucciola/ (Le projet en Italie ou vous êtes les bienvenu.e.s)
- https://resiliencemovement.eu/francais/ (explications sur la résilience, exercices de centrage et de dialogue respectueux)
















